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LECHO

DE

LA JEUNE FRANCE.

TADLE ALPHABÉTIQUE DES MATIERES

CONTENUES DANS LE DEUXIÈME VOLUME.

Académie française (T ), par Francis Benoit 302

Anjou (le duc d'), déclaré roi d'Espagne ( gravure ) 288

Apothéose de Louis XVI, par Bosio( sculp- ture) 40

Art ( r ) dans ses rapports avec les pro- grès de l'humanité , par Jules de Fran- cheville 101

A>enir de la poésie , par Lamartine 7

BaHanche, par Mouttet / 314

2* ARTICLE. [^ 373

Beaux-Arts , Exposition de 1 834 ( 1 " art.) . 20

D' (2* art.). 37

Berryer, orateur, par Nettement 10

Beziers ( le vicomte de ) 45

Bulletin littéraire du mois de février 385

Calendrier de la Jeune France 259

Chant calabre , par Lamartine 35

(.harlesIX (une Journée sous), par Soulié

et Badon 82

(JiâU\iuhriand_|_§eâ3liUUQires, 1" art.),

^ par Nettement 54

D' d' 2* art.). 88

D*, son jMirtrait, par Lamartine. .. . 10 Cherbourg ( port , rade et digue de ) . . . . 237 Chronique du mois de février , par

Francis Benoit 381

Circulaire du bureau de Montauban. ... 129 Charité (la) considérée comme science.. 378

Chronique du mois de juin 125

D* juillet 159

août 190

D* septembre 219

D* octobre 258

(Jironiquepolitique^de novembre 268

D' y décembre 318

D' janvier 348

Cœur (le jeune fille ( un ) 45

Combat de Navarin ( gravure ) 290

Conseil de doctrines religieuses 36

Coup (r<i'il sur l'état de la science phi- l(»s(>pbi<|ue appliquée à l'histoire avant

Ballanche 373

Critique (de la") par Mouttet 314

n°, suite et lîii 338

Cronnve! ( frngmens de tragédie ) 248

Départ ( le ) et le retour ( gravure ) 290

Education en général et de l'éducation en

particulier ( de l' ^ 210

Eloquence parlementaire 10

Enfant (F) du >illage et l'Enfant de la *iHc 175

Etides de moei rs si r la femme.

^ r*^ Influence des femmes sur la société. 360

^ 2* Lu femme au 19' siècle 361

^ 3' La femme dos hautes classes 373

'X liufisîniîlOrandct 45

Fauteud académique ( un ) 353

Golfe du Mexique ( un jour et une nuit

dans le ) , par Charpenne 87

C.uide du voyageur en Italie 260

Hennequin; sa lettre à la Jeune France. 355 Hilarité considérée comme moven de gou-

Acrnement représentatif ( de F ) 352

Histoire d'une berline, trilogie allégo-

jiqyt*--; 272

Histoire d'un prisonnier au mont Saint- Michel , parle vicomte Walsh 14 i

Industrie des expositions publiques)... 114 Infortunes d'un écolier en vacances, par Canning j-2

Institution bénévole d'un jury pour juger

tous les différens des hommes 353

Invasion ( F ) et la visite au tombeau

( gravures) 291

Janvier ; sa lettre à la Jeune France 35

Journal (comment ou fait un nouveau). 33

Journalomanie de la ) 352

Lettre aux ambassadeurs à l'occasion de

l'apothéose de Louis XVI 353

Liaison ( une ) 80

Liberté (de la) de l'enseignement en Bel- gique , par M. de Coux 357

Littérature du mois de mars 5

Livre des enfans ( le ) 164

Louis XVI et Marie-Antoinette 294

Maladies sociales , ou causes du progrès de l'esprit révolutionnaire en Europe;

moven de les arrêter 197

Suite 231

Malcontens de 1579 (les), par d'Epagny

et Jarry 84

Mésalliances ( les deux ) , article de mœurs, par Nettement , 1" partie. . . . lOC

2* partie. . . . 150

3' partie 178

Mouvement dramatique au mois de mai. . 79 Mouvement littéraire au mois d'avril , par

Jules Janin 45

D", au mois de mai 69

Mouvement littéraire et dramatique du

m.iis de juin 119

religieux , au mois d'avril , par

Jules Janin 42

D' théâtral, au mois d'avril 51

Nouvelles du mois d'avril 62

de mai 97

Paroles d'un croyant, par M. Lamennais . 69

Pauvre fille . •" 45

Plaies sociales ( article de concours ) 133

Prédication au 19' siècle (delà), par l'abbé

de Guerry 325

Premier amour (un), par Bayard et Van-

derburck ' 84

Presse (de la) républicaine 380

Réflexions sur Je. ip.Quyement littéraire et

scientiSquéau 19* siècle.^Kâ->UjavA . 229 Réponse des ambassadeurs à Ta letwe

adressée par le comité 354

Réputations contemporaines ( comment

elles se font ) 131

Ruines ... 7* méditation 262

8* méditation 296

9* méditation 330

Sciences politiques, tableau de la société

moderne , par Nettement 25

Seconde éducation d'un jeune homme

dans le monde 307

Société de la jeune France ( sa mise en

action ) 261

Sorbonne (une représentation à la), par

Francis Benoît 204

Sphygmomètre ( le ) , médecine 287

Suicide (les suites d'un) 216

Suicide ( le ) , poésie , par Edouard Tur-

quety 226

Supplice de Jane Gray 21

Système d'éducation actuel; ses inconvé- niens et améliorations qu'on pourrait

y" apporter 165

Théâtres au mois de mars 15

Théâtres ( revue des ) 243

Université catholique Belge 358

Un trait d'urbanité ( nouvelle ; , par Michel Raymond 367

L'ÉCHO

DE

LA JEUNE FRANCE

JOURNAL DES PROGRES

J

ccv le WDU<5tux>uu5iue.

TOME DEUXIÈME,

TIRÉ A 15^000 EXEMPLAIRES.

AVRIL 1854— 1855.

PARIS

AU BUREAU DU JOURNAL,

22 , RUE FEYDEAU.

ET CHEZ TOUS LES LIBRAIRES.

IMPRIMERIE DE FÉLIX LOCQUIN.

16, RLE lïOTRE-DAME-DES VICTOIRES.

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L'ECHO

DE

LA JEUNE FRANCE,

2°^e année.— 5 Avril 1834. 1^^^ Livraison.

LITTERATURE.

CHATEAUBRIAND ET LAMARTINE.

Il y avait bien long-temps que nous n'avions eu un mois plus poe'tique et plus litte'rairé que le mois qui vient de s'écouler. La Jeune France ne pouvait avoir un plus heureux anniversaire , elle ne pouvait entrer dans une année nouvelle à la clarté' de deux astres plus brillans, M. de Chateaubriand et M. de Lamartine, lucida sidéra. Depuis bientôt mi mois, Paris est occupe des mémoires de M. de Chateaubriand. M. de Chateaubriand les a lus à l'Abbaye-aux-Bois , chez madame Récamier, son amie, à quelques jeunes gens d'esprit et de cœur, ses enthousiastes et ses élèves. Cette lecture ainsi faite dans les murs d'un cloître et dans la confidence d'un salon, a eu cependant un retentissement incroyable. A peine cette lecture a-t-elle été achevée, que tout Paris savait ce que contenaient ces mé- moires.Chacun avait son anecdote à raconter, chacun sa belle phrase à répéter, chacun son mot touchant à redire. A peine ces mémoires ont-ils été lus à cinq ou six personnes, et voilà que tout Paris les répète comme si Paris les avait lus. Jamais curiosité ne fut plus grande et plus naturelle, jamais intérêt ne fut plus vif. C'était à qui réveillerait le plus de souve- nirs.Quand est-il né? quand est-il venu à Paris? quand a-t-il commencé Atala? Vous sentez bien que, pour notre part, nous avons été des premiers à prêter l'oreille à tous ces récits divers et voici ce que nous avons appris de plus certain :

Les mémoires de M. de Chateaubriand forment déjà six volumes in-8''(i). Ces volumes ont été écrits à diverses reprises et dans des circonstances bien différentes. Tantôt à la Vallée aux Loups , au milieu de cette calme et fraîche vallée, oii M. de Chateaubriand ne possède plus rien que le souvenir qu'il a laissé dans ces campagues : tantôt au ministère des affaires étrangères, d'où il est sorti les mains nettes et le cœur pur, tantôt à Berlin, tantôt à Londres , tantôt à Rome; oii n'a-t-il pas écrit ses mémoires ? Ici et là. En prison, en liberté, ministre d'état, écrivain politique, disgracié ou tout-puissant j homme de toutes les fortunes comme de tous les styles; homme de cœur, poète toujours admirable, admiré , enthousiaste , plein de foi , plein d'amour. Ces mémoires ont été les fidèles compa- gnons de sa vie, les témoins discrets de ses malheurs, sa consolation toujours présente dans les révolutions qui ont accablé le noble écrivain sans lui faire courber la tête. Vous pouvez ainsi juger de l'intérêt qui doit animer ces récits; quelle vieî quelle vérité ! quelle éloquence I quelle profonde connaissance des hommes î que d'anecdotes I et que de portraits d'hommes fameux représentés au naturel !

Le premier volume des mémoires de M. de Chateaubriand est consacré à l'histoire de

(1) Pour ne pas rdpëter la Rewiie de Paris, nous nous sommes bornes a une courte analyse dans cet article préliminaire , en attendant rarticle complet qui paraîtra dans le n^ du 5 mai.

G LA JEUNE FRANCE.

sa famille. y voit au naturel ces gentilshommes entête's et fiers , qui n'avaient pas même courbe' la tête pour saluer Louis XIV , me'contens , pauvres , fiers et braves de père en fils. Puis l'auteur parle de l'histoire de sa jeunesse au château de Combourg, avec sa belle et jeune sœur Lucile. Déjà vous retrouvez le germe de Re'né, cette histoire qui a change' nos ide'es poétiques. De Combourg, le jeune François va au collège de Rennes il étudie l'arithmétique de Bezout, il lit Horace et saint Augustin. D'écolier il devient soldat, puis sous-lieutenant. Une fois sous-lieutenant, son père l'envoie à la cour de Louis XVI. Il voit Louis XVI, il voit M. de Malesherbes, il voit les gens de lettres de ce temps-là ; il a l'insigne honneur de faire insérer une élégie de sa composition dans le Mercure de France. Bientôt la révolution éclate et tonne; tout s'émeut, la Bastille s'écroule , le peuple ramène de Versailles le roi, la reine et le dauphin. Chateaubriand recule épouvanté de- vant les premières têtes coupées qu'on portait dans les rues au bout d'une pique. M. de Malesherbes prenant en pitié ce jeune homme l'envoie en Amérique ; le voilà parti pour l'Amérique.

Vous savez ce qu'il fit en Amérique. Il salua Washington , lui qui plus tard devait saluer Bonaparte. Il s'enfonça tout seul dans ces forêts sauvages, cherchant je ne sais quel passage, il ne trouva pas son passage, mais il trouva la poésie, il trouva Atala, il trouva les Natchcz , il trouva le coloris de son style , il trouva toutes ces harmonies de la nature que Bernardin de Saint -Pierre n'avait fait que pressentir. Ce voyage est e'blouissant de poésie.

Mais , au milieu de cet enthousiasme presque lyrique voici qu'un soir notre voyageur rencontre dans la cabane d'un sauvage les fragmens d'un journal anglais sur lequel il lit la fuite du roi Louis XVI et son arrestation à Varennes. Fuite au roi! Aussitôt voilà notre sauvage qui se rappelle qu'il est gentilhomme , qu'il est militaire , qu'il doit son épée à son roi. Aussitôt adieu à l'Amérique, adieu aux sauvages, adieu aux déserts, adieu aux grands fleuves, adieu aux forêts vieilles comme le monde , adieu ! adieu î II repart, il re- vient en France au milieu d'une tempête. Que dis-je ? deux tempêtes. Il fit naufrage à Saint-Malo; et nous étions en 92, seconde tempête plus horrible que la première î

Ici le poète devient historien. Le jeune homme qui tout à l'heure était si heureux dans les bois , au milieu des tigres et des sauvages, s'émeut et se trouble au milieu des hommes et de la révolution de France. Que de têtes coupées ! que de juges ! que de bourreaux I II voit Danton, Robespierre et Marat , il va au club des jacobins , il apprend les tristes nou- velles de ce roi qui est prisonnier ! il frémit , il s'indigne , il veut partir], il part. Il va rejoindre l'armée des princes; après mille périls il arrive à Bruxelles. A Bruxelles les émigrés refusent de l'admettre dans leurs rangs, et il part pour le siège de Thionville. Le siège de Thionville est un récit charmant, plein d'intérêt et à' humour. Enfin le siège est levé, notre héros blessé à la jambe , miné par la fièvre et par la maladie des Prussiens f n'ayant qu'une mauvaise couverture pour se couvrir, tombe au milieu d'un fossé du che- min. Passe un fourgon du prince de Ligne : on ramasse le cadavre, et le fourgon le jette aux portes de Bruxelles. A Bruxelles il allait mourir de faim quand il rencontre son frère qui lui trouve un logement chez un barbier, et qui rentre à Paris il mourut sur l'écha- faud.

A peine guéri , François de Chateaubriand s'embarque à Ostende pour l'île de Jersey. Dans le vaisseau son mal le reprend , sa blessure s'ouvre de nouveau , il va encore une fois expirer dans la rue quand la femme d'un matelot en prend pitié et le fait porter dans sa maison. C'est à la femme de ce matelot que la France royaliste et chrétienne doit pro- bablement le Génie du Christianisme , les Martyrs et la liberté de la presse , telle que nous l'entendons.

Par combien de vicissitudes il a passé ! sa vie littéraire au milieu de Londres en est remplie. Quelle noble pauvreté! Ici s'arrêtent les mémoires de M. de Chateaubriand. Il

LA JEUNE FRANCE. *J

lui teste à e'crire toute l'histoire de l'empire et de la restauration , Phistoire de la révolu- tion de juillet est e'crite déjà : J'ai voulu , dit-il , en finir tout de suite avec mes plus tristes souvenirs! Ce qui ajoute à l'intérêt de toute cette histoire , c'est que c'est une his- toire testamentaire, un récit d'oufre-iomèe, c'est que la France ne pourra lire ces mémoires qu'au jour nous aurons perdu le plus grand, le plus éloquent, le plus national, le der- nier de nos grands écrivains.

Mais laissons parler de M. de Chateaubriand le seul homme de nos jours qui soit digne d'en parler, le seul du moins qui sache en parler dignement. Laissons parler M. de Lamar- tine. Je vous ai dit que ce mois-ci M. de Chateaubriand et M. de Lamartine s'étaient par- tagé à eux seuls l'attention publique ; j'ai dit vrai. En même temps que M. de Chateau- briand lisait ses mémoires à ses amis , M. de Lamartine préparait une nouvelle édition de ses œuvres, et en tête de cette nouvelle édition il plaçait une éloquente préface sur l'avenir de la poésie. Vous pourrez juger par vous-même si dans sa préface M. de Lamartine partage toul-à-fait nos idées de progrès et d'avenir. Il voit encore pour la France de l'es- pace et du soleil. Ecoutez ! ceci est noble et grand. Tout à l'heure nous avons vu M. de Chateaubriand parlant de lui-même, à présent nous allons voir M. de Lamartine parlant de la poésie, ce qui est même chose. De V avenir de la poésie. Poésie et avenir ^ deux grands mots qui serviront àla fois notre drapeau, notre champ de bataille et notre triomphe.

AVENIR DE LA POÉSIE.

» Je me souviens, dit M. de Lamartine, qu'à mon entrée dans le monde il n*y avait

» qu'une voix sur l'irrémédiable décadence , sur la mort accomplie et déjà froide de cette

» mystérieuse faculté de l'esprit humain; c'était l'époque de l'empire; c'était l'heure de

» l'incarnation de la philosophie matérialiste du i S'' siècle dans le gouvernement et dans

» les mœurs. Tous ces hommes géométriques qui seuls avaient alors la parole, et qui nous

» écrasaient nous autres jeunes hommes sous l'insolente tyrannie de leur triomphe ,

» croyaient avoir desséché pour toujours en nous ce qu'ils étaient parvenus en effet à flé-

» trir et à tuer en eux , toute la partie morale , divine , mélodieuse , de la pensée hu-

» maine I Rien ne peut peindre à ceux qui ne l'ont pas subie l'orgueilleuse stérilité de

» cette époque I C'était le sourire satanique d'un génie infernal quand il est parvenu à

» dégrader une génération toute entière , à déraciner tout un enthousiasme national , à

» tuer une vertu dans le monde ; ces hommes avaient le même sentiment de triomphante

» impuissance dans le cœur et sur les lèvres quand ils nous disaient; araour, philosophie,

» religion, enthousiasme, liberté, poésie; néant que tout celai Calcul et force, chiffre

î) et sabre, tout est là. Nous ne croyons que ce qui se prouve, nous ne sentons que ce qui

» se touche; la poésie est morte avec le spiritualisme dont elle était née; et ils disaient

» vrai; elle était morte dans leurs âmes , morte dans leurs intelligences , morte en eux et

» autour d'eux ; par un sûr et prophétique instinct de leur destinée , ils tremblaient qu'elle

» ne ressuscitât dans le monde avec la liberté ! ils en jetaient au vent les moindres racines

» à mesure qu'il en germait sous leurs pas , dans leurs écoles , dans leurs lycées , dans

» leurs gymnases, dans leurs noviciats militaires et polytechniques surtout; tout était or-

» ganisé contre cette résurrection du sentiment moral et poétique; c'était une ligue uni-

» verselle des éludes mathématiques contre la pensée et la poésie. Le chiffre seul était

» permis, honoré, protégé, payé! comme le chiffre ne raisonne pas, comme c'est un

» merveilleux instrument passif de tyrannie qui ne demande jamais à quoi on l'emploie , » . qui n'examine nullement si on le fait servir à l'oppression du genre humain ou à sa dé-

» livrance , au meurtre de l'esprit ou à son émancipation , le chef militaire de cette épo-

» que ne voulait pas d'autre missionnaire , pas d'autre séide , et ce séide le servait bien ;

» il n'y avait pas une idée en Europe qui ne fût foulée sous son tcdon , pas une bouche

g LA JEUiNE FRANCE.

)> qui ne fiit bâillonnée par sa main de plomb. Depuis ce temps, j'abborre le cbiffre, » cette négation de toute pensée, et il m'est reste, contre cette puissance exclusive et jalouse » des mathématiques, le même sentiment, la même horreur qui reste au forçat contre » les fers durs et glacés rivés sur ses membres et dont il croit éprouver encore la froide )) et meurtrissante impression quand il entend le cliquetis d'une chaîne. Les mathémati- > ques étaient les chaînes de la pensée humaine. Je respire; elles sont brisées. »

Cela dit l'auteur raconte quelques-unes de ses aventures dans cet Orient , berceau de toute poésie, d'où il revient chargé de gloire et de deuil ; après avoir trouvé des villes entières et perdu sa fille, son enfant, son Ada. Puis de ces récits d'un si haut intérêt , que nous retrouverons bientôt dans son Forage en Orient , le poète revient à son idée pre-

jQ^^fe V Avenir de la Poésie, nous sommes encore assez heureux pour vous donner

ces admirables fragmens :

a Le monde est jeune, car la pensée mesure encore une distance incommensurable entre l'état actuel de l'humanité et le but qu'elle peut atteindre; la poésie aura d'ici de nouvelles , de hautes destinées à remplir.

» Elle ne sera plus lyrique dans le sens nous prenons ce mot; elle n'a plus assez de jeunesse , de fraîcheur, de spontanéité d'impression pour chanter comme au premier ré- veil de la pensée humaine. Elle ne sera plus épique; l'homme a trop vécu, trop réfléchi pour se laisser amuser, intéresser par les longs écrits de l'épopée, et l'expérience a détruit sa foi aux merveilles dont le poème épique enchantait sa crédulité; elle ne sera plus dra- matique , parce que la scène de la vie réelle a , dans nos temps de liberté et d'action poli- tique, un intérêt plus pressant, plus réel et plus intime que la scène du théâtre; parce que les classes élevées de la société ne vont plus au théâtre pour être émues , mais pour juger; parce que la société est devenue critique de naïve qu'elle était. Il n'y a plus de bonne foi dans ses plaisirs. Le drame va tomber au peuple ; il était du peuple et pour le peuple , il y retourne; il n'y a plus que la classe populaire qui porte son cœur au théâtre : or le drame populaire , destiné aux classes illettrées, n'aura pas de long-temps une expression assez noble, assez élégante , assez élevée pour attirer la classe lettrée ; la classe lettrée aban- donnera donc le drame ; et quand le drame populaire aura élevé son parterre jusqu'à la hauteur de la langue d'élite, cet auditoire le quittera encore; et il lui faudra sans cesse redescendre pour être senti. Des hommes de génie, tentent en ce moment même de faire violence à cette destinée du drame. Je fais des vœux pour leur triomphe, et, dans tous les cas, il restera de glorieux monumens de leur lutte. C'est une question d'aristocratie et de démocratie , le drame est l'image la plus fidèle de la civilisation.

» La poésie sera de la raison chantée; voilà sa destinée pour long-temps; elle sera philoso- phique, religieuse, politique, sociale comme les époques que le genre humain va traverser; clic sera intime surtout , personnelle , méditative et grave ; non plus un jeu de l'esprit , un caprice mélodieux de la pensée légère et superficielle, mais l'écho profond, réel, sin- cère des plus hautes conceptions de l'intelligence, des plus mystérieuses impressions de l'ame. Ce sera l'homme lui-même et non plus son image, l'homme sincère et tout entier. Les signes avant-coureurs de cette transformation de la poésie sont visibles depuis plus d'uQ siècle ; ils se multiplient de nos jours. La poésie s'est dépouillée de plus en plus de sa forme artificielle, elle n'a presque plus de forme qu'elle-même. A mesure que tout s'est spirilualisé dans le monde, elle aussi se spiritualise , elle ne veut plus de mannequin , clic n'invente plus de machine , car la première chose que fait maintenant l'esprit du lecteur , c'est de dépouiller le mannequin , c'est de démonter la machine et de chercher la poésie seule dans l'œuvre poétique , et de chercher aussi l'ame du poète sous sa poésie; mais serat-clle morte pour être plus vraie, plus sincère, plus réelle qu'elle ne le fut jamais ? Non sans doute, elle aura plus de vie, plus d'intensité, plus d'action qu'elle n'en eut encore! et j'en appelle à ce siècle naissant qui déborde de tout ce qui est

LA JEUNE FRANCE. 9

la poésie même, amour, religion, liberté'? et je me demande s'il y eut jamais dans les époques littéraires un moment si remarquable en talens e'clos , et en promesses qui ccloront à leur tour? Je le sais mieux que personne, car j'ai ëte souvent le confident inconnu de ces mille voix myste'rieuses qui chantent dans le monde ou dans la solitude , et qui n'ont pas encore d'e'cho dans leur renomme'e ; non il n'y eut jamais autant de poètes et plus de poésie qu'il n'y en a en France et en Europe, au moment j'écris ces lignes, au moment quelques esprits superficiels ou préoccupés s'écrient que la poésie a accompli ses des- tinées et prophétisent la décadence de l'humanité I Je ne vois aucun signe de décadence dans l'intelligence humaine, aucun symptôme de lassitude ni de vieillesse; je vois des institutions vieillies qui s'écroulent ; mais des générations rajeunies que le souffle de vie tourmente et pousse en tous sens , et qui reconstruiront sur des plans inconnus cette œuvre infinie que Dieu a donnée à faire et à refaire sans cesse à l'homme, sa propre destinée. Dans cette œuvre , la poésie a sa place , quoique Platon voulût l'en bannir I C'est elle qui plane sur la société et qui la juge , et qui , montrant à l'homme la vulgarité de son œuvre , l'appelle sans cesse en avant, en lui montrant du doigt des utopies, des républiques ima- ginaires , des cités de Dieu, et lui souffle au cœur le courage de les tenter et l'espérance de les atteindre ! »

« A côté de cette destinée philosophique rationnelle, politique , sociale de la poésie à venir , elle a une destinée nouvelle à accomplir , elle doit suivre la pente des institutions et de la presse, elle doit se faire peuple et devenir populaire comme la religion, la raison et la philosophie. La presse commence à pressentir cette œuvre, œuvre immense et puissante qui , en portant sans cesse à tous la pensée de tous , abaissera les montagnes , élèvera les vallées, nivellera les inégalités des intelligences, et ne laissera bientôt plus d'autre puis- sance sur la terre que celle de la raison universelle qui aura multiplié sa force par la force de tous. Sublime et incalculable association de toutes les pensées dont les résultats ne peuvent être appréciés que par celui qui a permis à l'homme de la concevoir et de la réa- liser! La poésie de nos joursja déjà tenté cette forme, et des talens d'un ordre élevé se sont abaissés pour tendre la main au peuple; la poésie s'est faite chaoson ; pour courir sur l'aile du refrain dans les camps ou dans les chaumières , elle y a porté quelques nobles souvenirs, quelques généreuses inspirations , quelques sentimens de morale sociale; mais cependant il faut le déplorer , elle n'a guère popularisé que des passions , des haines ou des envies; c'est à populariser des vérités, de l'amour, de la raison, des sentimens exaltés de religion et d'enthousiasme , que ces génies populaires doivent consacrer leur puissance à l'avenir. Cette poésie est à créer, l'époque la demande, le peuple en a soif, il est plus poète par l'ame que nous, car il est plus près de la nature, mais il a besoin d'un interprète entre cette nature et lui; c'est à nous de lui en servir, et de lui expliquer par ses sentimens rendus dans sa langue, ce que Dieu a mis de bonté, de noblesse , de générosité , de pa- triotisme et de piété enthousiaste dans son cœur I Toutes les époques primitives de l'huma- nité ont eu leur poésie ou leur spiritualisme chanté, la civilisation avancée serait-elle la seule époque qui Ht taire cette voix intime et consolante de l'humanité ? Non sans doute , rien ne meurt dans l'ordre éternel des choses , tout se transforme : la poésie est l'ange gar- dien de l'humanité à tous les âges. »

De pareils élans n'ont pas besoin d'éloge, ils n'ont pas même besoin d'admiration ; ils vont tout droit au cœur de l'homme. Surtout ils iront tout droit à l'ame de la jeunesse , qui ne fera pas mentir son prophète. Cette dissertation de M. de Lamartine sur l'avenir de a poésie est mieux qu'une histoire _, c'est une révélation.

Voici à présent l'admirable portrait de M. de Chateaubriand par M. de Lamartine : citer encore cette page , c'est le plus bel éloge que nous puissions faire du grand écrivain et du grand poète :

1^ LA JEUNE FRANCE.

PORTRAIT DE CHATEAUBRIAND.

» M. de Chateaubriand, génie mélancolique, suave, mémoire harmonieuse et enchantée d'un passe dont nous foulions les cendres , et dont nous retrouvions l'arae en lui ; imagi- nation homérique jetée au milieu de nos convulsions sociales, semblable à ces belles colonnes de Paimyre, restées debout et éclatantes, sans brisure et sans tache, sur les tentes noires et déchirées des Arabes, pour faire comprendre, admirer et pleurer le monument qui n'est plus ! Homme qui cherchait l'étincelle du feu sacré dans les débris du sanctuaire, dans les ruines encore fumantes des temples chrétiens; et qui, séduisant les démolisseurs même par la pitié , et les indiffércns par le génie, retrouvait des dogmes dans le cœur, et rendait delà foi à l'imagination! Les mots de liberté et de vertu politique sonnaient moins souvent et moins haut dans ses pages toutes poétiques ; ce n'était pas le Dante d'une Florence asservie , c'était le Tasse d'une patrie perdue , d'une famille de rois pro- scrits, chantant ses amours trompés, ses autels renversés, ses tours démolies^ ses dieux et ses rois chassés, à l'oreille des proscripteurs, sur les bords même des fleuves de la patrie; mais son ame grande et généreuse dofinait aux chants du poète quelque chose de l'accent du citoyen. Il remuait toutes les fibres généreuses de la poitrine, il ennoblissait la pensée, il ressuscitait l'ame ; c'était assez pour tourmenter le sommeil des geôliers de notre intel- ligence. Par je ne sais quel instinct de leur nature, ils pressentaient un vengeur dans cet homme qui les charmait malgré eux! Ils savaient que tous les nobles sentimens se touchentet s'engendrent, et que dans des cœurs vibrent le sentiment religieux et les pensées mâles et indépendantes , leur tyrannie aurait à trouver des juges , et la liberté des complices ! » On est tout près d'être consolé en songeant que ce sont des pages écrites d'hier que personne ne sait encore; on est tout fier et tout heureux en pensant que l'homme qui parle ainsi , que l'homme dont on parle ainsi , sont les deux protecteurs les plus puissans , les deux amis les plus vrais de la jeunesse reconnaissante, qui voit en eux seuls sa poésie et son avenir.

Après cela ne nous demandez pas d'autres nouvelles littéraires. M. de Lamartine et M. de Chateaubriand ont tout pris. Tout le reste est mort. Quel bonheur de les trouver souvent debout ces deux grands hommes , couvrant de leur ombre toutes les pages , tous les vers, tous les livres, tous les renoms contemporains. M. F. , du Comité de Paris,

ELOQUENCE PARLEMENTAIRE-

BERRYER, ORATEUR.

Nous éprouvons aujourd'hui un embarras étrange. Nous ne pouvons presque plus toucher d une grande renommée contemporaine , sans rencontrer un des noms qui ont voulu ^tre comptés à la tête de la jeune frange. Il nous serait triste d'encourir l'accusation de flatterie ou de partialité, nous_, pour qui l'équité est un besoin aussibien qu'un devoir, et nous ne voudrions pas que l'on confondît un acte de justice avec un acte de reconnais- sance. Mais ce n'est point notre faute à nous , si l'homme qui veut bien nous accorder une sympathie si active et si puissante est le type de l'éloquence moderne. Parce que M. Berrycr est l'ami , disons mieux l'une des brillantes personnifications de la jeune FRANCE , ce n est point une raison pour que nous renoncions au droit de faire sur le talent de ce puissant orateur, une de ces études utiles à l'art oratoire, qui gagne à être ainsi apprécié sur la nature vivante toujours plus féconde en leçons que la nature morte. Si nous blessons rhouora])lc pudeur d'une haute modestie , nous dirons pour notre excuse que

LA JEUJSE FRA^GE. II

ce n'est point à Tintention d'un homme, mais à rinlention du public que nous avons e'crit ces pages sur Berryer Torateur.

Ceux-là ne connaissent point Berryer, qui dans le silence du cabinet ont lu à tête re- posée sa parole écrite. L'orateur ne parle point pour qu'on le lise , mais pour qu'on l'en- tende, et avant tout Berryer est orateur. Ces lignes décolorées qui passent sous vos yeux, ce n'est pas le discours de Berryer, ce n'en est que l'ombre, c'est un écho affaibli d'éloquence qui s'en va s' éteignant à mesure qu'il s'éloigne , c'est la traduction incomplète quoique belle d'un de ces textes magnifiques que tout le monde admire , mais que pas un de ses admirateurs ne peut rendre.

Sans doute il est de ces harangues au cours paisible et régulier, qui , s' enchaînant avec méthode et se déroulant avec lenteur, gagnent à être lues au lieu d'être écoutées, parce que les esprits dans le recueillement de la solitude s'appesîtntissent avec plus de fruit sur la suite d'un raisonnement et étudient avec plus de facilité les secrets de la dialectique. Sans doute encore l'orsqu'il s'agit de ces discours qui, suivant l'expression de l'antiquité, sentent l'huile des veilles qu'ils ont coûtées , et étalent avec pompe ces laborieuses magni- ficences du style , brillantes décorations de la pensée, on ne perd rien à admirer ces belles pages loin de celui qui les a composées , car il y a répandus pour la postérité la plus re- culée , tous les parfums de son ame. Que Lysias ou Fontanes montent à une tribune , ils sont toujours écrivains avant d'être orateurs. Il y a dans leur éloquence travaillée et polie, dans la construction de leurs périodes artificieusement échafaudées , dans l'étiquette de leur parole, dans le nombre de leur style , des indices certains qui vous annoncent que ces hommes habiles, au lieu d'essayer leurs dicours comme DémosthèneS;, à l'écho du rivage, habitué à redire les colères de l'Océan , l'ont essayé dans les limites étroites d'un cabinet de travail , demandant conseil à un éch» domestique , génie familier à la voix douce et flùtée. On s'aperçoit à chaque pas que tandis qu'ils mesuraient attentivement leurs phrases, qu'ils cadençaient leurs paroles , l'étude au front austère était assise à côté d'eux , et que le goût leur broyant les couleurs pour nuancer les délicatesses de leur style, pesait dans ses balances de toile d'araignée chacune des expressions qu'ils allaient employer. Fontanes à la tribune, c'est un livre qui parle. Otez la tribune , le livre reste le même, peut-être avez-vous gagné, au moins n'avez-vous rien perdu.

Mais quand Démosthènes, ébranlant de sa puissante voix les échos du Pnyce, soulevait les murailles d'Athènes contre la domination du Macédonien, quand Mirabeau tonnait du haut de la tribune de la constituante, et faisait retentir les formidables mugissemens de Son éloquence autour de cette Jéricho monarchique qui allait tomber devant lui , alors ce n'était plus des lecteurs qu'il fallait^ c'étaitun auditoire, car il n'y avait plus d'écrivain, il y avait un orateur. C'était sur le trépied qu'il fallait voir la Pylhonisse l'œil ardent , le geste impétueux, le visage illuminé des inspirations d'en-haut. Une fois descendue, le visage calme et tranquille, le front sans auréole, les yeux sans éclairs, on ne trouvait plus en elle qu'une femme , la prêtresse avait disparu.

Eh bien! Berryer est de cette grande famille d'orateurs qui ignore les calculs méthodiques de l'écrivain et les lentes élaborations du style. Sa logique est une logique de tribune , ses inspirations sont des inspirations de tribune , son enthousiasme est un enthousiasme de tribune, ses pensées sont des pensées de tribune , son style est un style de tribune. L'ac- tion, cette partie de l'éloquence si importante suivant Démosthènes qu'il en faisait la pre- mière condition du véritable orateur , l'action occupe un grand rôle dans toutes les haran- gues de notre Berryer. Il sait l'art de traduire par un geste le secret d'une pensée qu'il ne veut point dire , d'exprimer par une inflexion de voix un sentiment qu'aucune parole hu- maine ne peut rendre. Quand vous lisez ensuite ses harangues qui n'ont plus pour inter- prètes cette magie de la voix , cette puissance du geste , cette éloquence du regard , il faut si vous voulez les comprendre que votre imagination leur restitue ce cadre brillant dont

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on les a arrachées, il faut que derrière la harangue vous évoquiez l'orateur. Ce large front, chauve avant l'âge comme tout front ou l'inspiration a passé, ces traits qui deviennent beaux à force d'être expressifs, cette physionomie mobile tous les sentimens qui agitent le cœur viennent se refléter, cette tête de tribune fièrement rejetée en arrière comme il convient aux rois de l'éloquence , ce geste qui plane comme un sceptre sur les flots dé- chaînés d'une assemblée en fureur, ce regard vif et impérieux qui soutient, sans se baisser, le feu de mille regards qui l'assiègent , cette voix puissante qui semble quelquefois sortir des profondeurs de l'ame pour descendre jusque dans les entrailles de l'assemblée, c'est le véritable orateur, c'est Berryer.

Quand cette imposante figure se dresse à la tribune, portant sur son front les rides précoces et la sainte pâleur du génie, on sent tout d'abord à la gravité de son maintien que sa bouche ne s'ouvre point pour donner passage à des paroles vulgaires. Les derniers bruits d'un auditoire tumultueux expirent , le silence s'étend de proche en proche du pied de la tribune jusqu'aux confins de l'assemblée. Berryer ne parle point encore et déjà on l'écoute. Mais je me trompe; le recueillement écrit sur son visage, son port plein de dignité , d'assurance et de noblesse , sont front tout chargé de pensées , ses yeux qui re- tiennent à peine les éclairs de ses regards, ont déjà parlé, et son discours est depuis long- temps commencé avant que sa retentissante parole vienne frapper les âmes ébranlées.

Il parle enfin, et sa voix claire et distincte semble par sa limpidité, qu'on me passe ce terme, prêter une puissance nouvelle à la lucidité de son raisonnement. Jamais instrument plus docile ne remplit avec plus de succès sa mission, et jamais l'intelligence, celte sou- veraine servie par des sens^ ne rencontra des sujets plus soumis. Lorsqu'on entend cette dialectique serrée , sans être tendue , dérc-uler ses trésors dans une suite de phrases pré- cises sans être arides et nues , nobles et élégantes sans être fardées , à l'aide de cet organe sonore et pur qui fait vibrer la raison et la vérité dans les régions les plus intimes de l'ame alors on a l'idée de la réunion la plus parfaite de toutes les conditions qui consti- tuent l'orateur.

Mais ce n'est que le courant de l'éloquence de Berryer, si l'on peut dire. C'est ainsi qu'il se montre au commencement d'une harangue quand il pose une question , quand il ramène à son véritable but une discussion qui s'égare. Pour que sa puissance paraisse dans toute sa splendeur , il lui faut une de ces positions étranges qui le forcent de se re- plier sur lui-même, une de ces luttes d'orateur à assemblée qui révèlent la suprématie du talent sur cette tourbe d'auditeurs qui mugit sous ses pieds. Le génie de la tribune n'est point un génie de paix. C'est un génie de guerre qui s'anime au bruit des interruptions et au choc des paroles. 11 lui faut le déchaînement des passions irritées, les frémissemens de la haine , les interpellations de la colère et les bruyantes harmonies des murmures. C'est le fond du tableau sur lequel il doit se dessiner en trails de feu, c'est le champ de bataille il doit vaincre, c'est le sourd gémissement des vents que doit dominer le fracas du tonnerre , ce sont les mille mugissemens de la forêt qui seront couverts tout à l'heure par la royale voix du lion. Le grand Bossuet parlant du grand Condé disait que ceux qui auraient eu à consulter cet étonnant général sur une affaire épineuse et difficile auraient dîi choisir de préférence le moment d'une bataille , et questionner cet étrange conseilleur au milieu de l'ardeur de la mêlée; tant il y avait alors d'illuminations dans cette ame hé- roïque qui, préoccupée d'un objet digne d'elle, se révélait tout entièrel L'orateur a aussi de ces singulières clairvoyances du génie, de ces merveilleuses révélations qui jaillissent du sol dans les heures de tempêtes.

Regardez Berryer planant dans la haute sphère des principes, pendant qu'un orage par- lementaire gronde à ses pieds. On dirait que plus l'orage redouble et plus l'orateur s'élève. Les clameurs montent emportées et furieuses ; mais Bcriyer, plus rapide encore, monte avec elles, il les dédaigne, il les domine, et les vagues mugissantes qui veulent l'engloutir

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ne semblent plus qu'un respectueux pie'destal qui porte jusqu'au ciel le hardi dominateur de la tribune. Insense's, ne poursuivez point l'aigle, car l'asile de l'aigle c'est la nue I In- sense's , ne poursuivez point l'aigle , car la nue oii l'aigle va se réfugier est babite'e par la foudre ! Mais les passions de plus en plus émues s'élèvent avec un sourd mugissement , et suivent en frémissant cette grande proie. Alors on assiste à l'un de ces magnifiques spec- tacles qui font époque dans les annales de l'éloquence , et que l'admiration des peuples lègue d'âge en âge à la postérité la plus reculée. Il semble que d'une main puissante l'ora- teur déchire cette nue qui voile les principes des sociétés , et dans cet instant ses paroles redoutables tombent comme une pluie de feu sur les imprudens murmurateurs qui pen- saient avoir vaincu. Un principe dans la main de Berryer, c'est le tonnerre qui gronde, c'est la foudre qui éclate. Par la seule force d'un principe, il fait baisser les fronts les plus insolens,il réduit au silence les plus bruyantes colères, et ces Titans impies qui levaient si haut la tête sont maintenant étendus sur le sol, écrasés sous les montagnes qu'ils avaient entassées. A quoi bon la robe de pourpre , fastueux déguisement que ces esclaves fugitifs ont jeté à la hâte sur leur servitude ? L'orateur a découvert le bout de chaîne qui les trahit , et le saisissant d'une main rude et impitoyable, il a ramené ces échappés d'esclavage sous le joug du principe qu'ils avaient déserté.

Oh qu'on ne parle plus de ces duels inégaux , un soldat soutient l'effort d'une armée gardant la tête d'un pont, l'entrée d'un défilé! C'était un brave soldat que Bayard, sans doute, mais ne voyez-vous pas que la tribune a de plus nobles batailles et de plus étranges duels? Dites , n'est-ce point ici un des plus beaux triomphes de l'éloquence? L'orateur seul avec sa parole contre tout un auditoire ennemi , l'orateur seul avec sa parole contre les haines et les passions déchaînées, l'orateur seul avec sa parole, n'ayant d'espoir qu'en lui-même, de ressources qu'en lui même, ne rencontrant pas un regard qui sympathise avec le sien, pas un visage qui ne lui soit contraire , tantôt accueilli par un silence gros de murmures , tantôt poursuivi par de furieuses clameurs , obligé de prononcer de ces phrases fatales qui tombent comme un arrêt de mort sur ceux qui l'écoutent, et ayant besoin du consente- ment de ceux qui l' écoutent pour pouvoir parler, juge étrange qui puise ses droits dans la conscience des coupables et par le seul ascendant moral fait prévaloir au milieu de leur foule toute-puissante, les oracles de la justice du haut d'un tribunal désarmé I

Mais l'impossibilité de la retraite précipite l'orateur dans la nécessité de la victoire. Seul contre tous il donne la bataille et la gagne. La tribune aussi a ses Austerlitz , et quand le tumulte du combat est tombé , quand cette étonnante rencontre est arrivée à son dénoùment, quand la chaleur des passions n'empêche plus de distinguer les objets, on s'aperçoit qu'il